Demande d'âme à l'Univers!
Hier, j'ai rencontré Chouaïb. Il marchait au bord de la départementale et lorsque je passe à proximité, il tend son pouce, il fait du stop. Il n'est pas au meilleur endroit! Je m'arrête, il monte. Il va jusqu'au prochain village, j'y passe, je l'y déposerai.
Il me dit qu'il cherche du travail, comme ouvrier viticole, il prospecte dans les exploitations, mais il ne trouve rien, les gens ne sont pas gentils avec lui, pas bienveillants, on l'accueille mal, on le paie mal, on l'arnaque. Il vient du Maroc, il est en France depuis deux ans. Il a toujours travaillé dur mais chez lui, les conditions sont si mauvaises, ils sont si mal payés. Il a trois enfants. J'imagine qu'ils doivent être assez grands car Chouaïb doit avoir au moins moins âge mais pas bien plus vieux, juste une vie de labeur nous donnant l'impression que nos réalités ont été séparées par mille univers.
Il appartient encore au vieux monde, celui qui pense encore que l'occident est un rêve, que la liberté peut s'y conquérir! Il ne doit pas savoir que la France, le Royaume Uni et les Etats Unis viennent de bombarder unilatéralement la Syrie sans se plier aux règles de la pseudo démocratie qui résistait encore aux forces obscures de la diKtature du grand capital! Il ne sait sans doute pas non plus que c'est grâce à ces hommes là, ces traitres à l'humanité que nos vies à tous ont été amputées de leur dignité, de l'épanouissement que le chemin vers le "progrès" nous avait promis. Il s'aperçoit que la vie en France est bien plus dure qu'il n'imaginait, que les loyers sont prohibitifs, comme les charges, la nourriture, comme tout ce qui est nécessaire à la survie. Le superflu en revanche ne coûte rien pour pérenniser les rouages de la surconsommation.
Oui Chouaïb, tu te confrontes au mythe occidental, la plus complète désillusion face à l'individualisme exacerbé des hommes vivant dans cet artifices d'opulence. Le rêve se transforme en cauchemar, vie de labeur, de soumission dans laquelle on a lui appris à faire profil bas de sa condition.
Mille fois, il me remercie, me dit que je suis gentille, je suis "madame" et je suis "vous". Des titres qui ne me ressemblent en rien, moi qui ne me sent être moi quand je n'ai qu'un prénom, je ne suis pas à distinguer de toi Chouaïb, même par convenances, même par conventions! Nous vivons un bout de réalité en commun, citoyens de ce monde en perdition, nous sommes frère et sœur d'un avenir meilleur. Toi et moi, nous avons à construire demain.
Il espérait seulement que je le laisse au prochain village, mais il allait jusqu'à la ville, et comme j'y allais aussi j'ai proposé de l'y conduire. Je lui ai dit que quand on arriverait il pense à me rappeler de lui offrir quelque chose, j'avais trouvé pas mal de trèfles à quatre feuilles et je voulais lui en donner un. Peut être que ça lui permettra d'avoir un coup de pouce de la chance pour son travail. Et puis on arrive, je me gare pour qu'il descende et Chouaïb se remet à me remercier, encore et encore, me proposer de venir manger le couscous chez lui, chez ses parents, ils m'accueilleront avec un grand plaisir. Je lui dis que le monde est petit et que si on doit se revoir, la vie y pourvoira. Il me remercie encore, à renfort d'inclinaison de son buste et de pleins de mots exprimant sa gratitude pour avoir été si gentille et humaine, tout bêtement humaine, avec lui. Il a fermé la porte et je suis partie rejoindre ma vie.
Ce matin, je vais comme tous les vendredis au marché de la ville acheter mes oeufs chez mon pote le dealer de bons oeufs pas chers. Il est sympa mon pote le dealer, j'adore aller sourire à son sourire et papoter un petit moment avec lui et sa voisine qui a une chance éhontée aux jeux de grattage. Il est toujours super gentil et particulièrement avec moi parce que ses oeufs c'est presque comme s'il me les donnait par les prix qui volent dans les temps qui courent. Je lui avais donc dit il y a deux semaines que je apporterais quand même un gateau un jour confectionné avec ses succulents oeufs! Parce qu'il a pas de chance, quand je viens acheter mes oeufs, c'est pour me ravitailler, il est en bout de course en même temps qu'à début et il ne voit jamais le fruit du fruit de son travail. Et comme cette fois ci non plus je n'avais pas apporté de gateaux, j'ai ouvert mon livre pour en tirer deux trèfles à quatre (ou cinq) feuilles et les leur donner à lui et à sa voisine qui doit pas être chanceuse ailleurs qu'aux jeux c'est pas possible!
Au moment où je vois mes trèfles, je repense immédiatement à Chouaïb et au fait que j'avais complètement oublié de lui donner le trèfle et sincèrement j'ai regretté. J'étais désolée d'avoir oublié. J'espérais pouvoir le revoir un jour où j'aurais des trèfles encore semi frais sur moi et réparer mon oubli. J'aime pas dire des trucs comme ça dans le vide, oh ça m'arrive mais j'aime pas, surtout quand je me souviens que j'ai oublié, comme à cet instant là!
Je quitte donc le marché et descend tranquillement vers le parking, Je repense à Chouaïb, juste son image qui s'imprime dans ma tête, comme pour me confirmer que ça m'importait cette histoire de trèfle. Et là, soudain, qui remontait du parking, juste à vingt mètres devant moi, qui je vois? Chouaïb!
Incroyable, il s'est matérialisé devant moi! J'y pensais avec une telle sincérité, une telle intégrité d'âme que l'Univers m'a exaucée, il a matérialisé Chouaïb juste là, pour répondre à ma demande. On pourra même dire que j'ai matérialisé Chouaïb en demandant avec le coeur bien plus qu'avec la tête. Peut être que je dois y voir une expérience, un entrainement pratique pour m'exercer à demander les choses ainsi, par élan d'âme pour que se manifeste à moi mes demandes même les plus folles? Chouaïb est tombé sur ma vie pour ça?
J'ai pris le trèfles à cinq feuilles, c'était le plus joli de tous. Il n'en croyait pas ses yeux quand je lui ai dit que c'était pour lui, qu'hier j'avais oublié et que j'ai pensé à lui alors il est apparu juste là. Il m'a fait la bise, réinvité à boire le thé, mais je devais filer. Mais maintenant je sais grâce à Chouaïb la façon dont je dois demander. C'est sans doute plus facile avec un inconnu qu'avec une personne avec laquelle on a établi des relations car quoiqu'il arrive, nous avons déjà des certitudes qui nous empêchent d'oser rêver. pour matérialiser nos rêves, et qu'ils pénètrent le réel. On ne fait que trop en douter.