Le Pacte de la déraison

Souvent, lorsque je me réveille en forme, je pose d'emblée mes deux pieds sur le sol de la raison. La plupart du temps, le monde va bien, tout est stable, rien a priori ne tremble. Pourtant inexorablement, au fur et à mesure que je me déploie dans cette dimension, m'assaillent de nombreux indices que je situe sur la voie de la déraison. Ce monde matériel qui m'entoure se suffit tant à lui même qu'il refoule ce qui ne répond pas à des preuves concrètes. Des preuves concrètes, j'en aurai bien aussi besoin pour étayer la déraison qui s'opère... antinomique n'est-ce pas? On n'est pas à un paradoxe près je crois!

J'ai un conflit, un combat à mener avec le lâcher prise... Essayer de ne pas mobiliser systématiquement le mental en bouclier rationnel à mes supposés délires. Personnellement, navigant sans peine entre les deux mondes, je commence à saisir que la réalité de la déraison n'est pas forcément si déraisonnable. Il suffirait d'accepter les choses comme elles viennent, sans les filtrer par le prisme de la raison, et moi, je ne sais pas faire, ma raison est tenace, elle me donne l'illusion de résister à la déraison.

Si je parle, que je commente la dimension dans laquelle j'évolue, il est clair que rationnellement, je déraisonne, on dira que j'ai la berlue! Délires improbables ficelés sans aucun doute par un esprit malade, certainement dépressif, pour se faire croire que sa raison le protège de la déraison, alors que sa raison est déjà déraison! Mais rien n'y fait, je m'accroche à l'idée que la raison conduit encore ma barque et c'est forte de cette conviction que j'ai la certitude que la déraison est une preuve de raison! Ca parait complètement loufoque, j'en suis bien consciente. Je vais pourtant tenter d'expliquer la logique cette drôle de logique... si toutefois quelqu'un cherche à comprendre.

Ce début d'article, en italique, a été écrit le 6 janvier de cette même année. Mais je me suis arrêtée en cours. Je n'ai pas réussi à en venir à bout, comme de beaucoup d'autres, que j'ébauche par grappes, dans une période intense de frétillement neuronal. Je n'ai pas assez de mains pour venir à bout de toutes les pensées qui surgissent perpétuellement de ma tête, et encore pas assez de temps pour arriver à exposer ces idées d'un bout à l'autre avec cohérence. Nombreux articles restent donc en suspend, le temps que je trouve le temps, la motivation nécessaire à les terminer. Et parfois, certains articles se perdent dans la dimension de l'oubli, un article politique qui perd son sens après les élections passées... après que l'actualité phare soit dépassée, un état d'âme intense mais passager, qui n'a plus la même saveur dès le lendemain...

Je retrouve donc celui-ci, il était tombé dans l'oubli, ou presque! Je ne peux pas dire que j'ai oublié la thématique, oh non, pas en ce moment, elle me revient sans cesse comme un marteau pilon, à écrabouiller les dernières lueurs d'orgueil de ma raison, alors que nous ne sommes qu'en mars, à peine un peu plus de deux mois plus tard... mais que j'avais complètement oublié à quel point cette thématique, je la tenais en substance depuis pas mal de temps déjà, j'avais intuitivement tracé les chemins qui allaient, sans que je puisse encore en avoir conscience, me conduire à aujourd'hui! Car effectivement, deux moins et quelque plus tard, ma raison a littéralement volé en éclat et même s'il reste un peu partout de ses lambeaux épars, j'ai été obligé de reconsidérer les choses sans son aide, ni son soutien et finalement, sans son accord...

Elle était bien mignonne cette droite raison, à tout le temps vouloir avoir raison... rigoureusement, elle traçait la route sur laquelle il m'avait été permis de cheminer. Mon passé à la rescousse pour tout renforcer, la folie n'est pas permise sauf à être clairement un génie... même si on sait pourtant que la plupart d'entre eux l'ont été à titre posthume! Sans preuve du génie, pas de folie... ou invisible, sans déborder, ça permettait de donner au change: impeccabilité! Droit comme un i n'a aucune folie... et s'il y cède, le i devient sinueux, la raison serpente pour monter les marches sur le tapis rouge de tous les honneurs! Je l'ai vu ramper pour ne pas avoir à plier, accepter l'inacceptable pour ne pas avoir à rompre, à s'avouer vaincue, aplatie devant certaines évidences qui se passent bien copieusement de son accord. J'ai été témoin de ses ruades pour se libérer de tout ce qui la menace, de sa violence à ne pas vouloir lâcher prise alors que tout y concourt et je ne suis plus dupe de sa peur, son angoisse à laisser la place à une sagesse bien plus intuitive qu'elle, qui aurait pour vertu de lui ôter ses lettres de noblesse!

Mais pour quelles raisons tient-elle à ce point à prendre toute la place, à humilier les sens et notre âme à son seul orgueil? A quel point ils nous ont été imprimés comme étant des pêchers d'orgueil, alors que la raison, blanche comme neige, pouvait continuer à nous broyer les évidences de l'âme?

Après le 6 janvier, les choses de la vie se sont accélérées. Dire comment? Dire pourquoi et en quel sens? Ca m'est encore impossible, mais ma raison, tous les jours un peu plus a été contrainte de vaciller. J'avais tellement d'idées en vrac et dans tous les sens, les miennes oui, mais pas uniquement, pleins et pleins d'autres choses, qui sûrement ne m'appartenaient pas entièrement pour que je les comprenne avec évidence. Des idées dont il m'était assez facile de déterminer l'origine quand il s'agissait des miennes mais les autres sont demeurées un mystère.Toujours aujourd'hui en réalité, je n'ai toujours aucune certitude quant à leur provenance, mais j'ai bien saisi qu'elles ne m'appartenaient pas et ça m'a sacrément libérée d'un poids. Mais ma raison se prend un choc de taille!!! Si je peux percevoir des pensées, des idées qui ne sont pas les miennes, c'est que je capte des choses qui se passent à l'extérieur de moi, des choses dont, a priori, je ne suis pas censée avoir conscience. C'est que je me retrouve avec une radio branchée sur les ondes des autres, que ça fait des interférences avec ma radio personnelle! Que je me retrouve avoir des perceptions extra sensorielles! Tu m'étonnes que je devenais cinglée de pas parvenir à expliquer, à rationaliser.... comme si c'était possible avec une conscience rationnelle de ce qui est?!

Mais si je me retrouve à avoir conscience de ce qui a priori n'est pas, c'est quoi? C'est que ma raison est bel est bien une limite, une frontière et que je n'ai pas d'autre choix, étant qui je suis et pour continuer ma quête logique, d'aller m'amuser à explorer là dedans! Alors comme d'habitude, malgré ces drôles et grisantes découvertes, je tente de garder la tête froide, de le voir avec des yeux sages autant que faire se peut, même si c'est difficile, même si c'est contraignant, je fais ce que je peux pour m'y astreindre. Il y a tant de choses qui se jouent pour moi là dedans, dans lequel l'irrationnel a pris une place paradoxalement prépondérante! Sans que je ne puisse avoir le loisir de me référer de trop à ma rigide raison que je sais à présent me tromper par crainte de se perdre elle même, par crainte de devoir laisser la place à plus humble et plus sage qu'elle!