Maudits mots dits

Publié le par Fée tes valises :D

Maudits mots dits

Ce n'est pas tout à fait comme ça que j'ai formulé ma question initiale, mais ainsi, elle n'a pas autant besoin de l'introduction qui s'imposait selon sa première mouture... le fait est que ce matin, soudainement, je me suis demandée pourquoi avons nous eu le besoin de transformer les sons en mots?

Comme j'ai pris cette relative récente habitude, pour me dégourdir un peu les jambes, avoir un contact en bain social et accessoirement me ravitailler en oeufs frais, je me rends chaque vendredi matin au marché à la grande ville la plus proche. Il n'est franchement pas terrible, j'ai connu tellement mieux de l'autre côté du massif, tellement plus typique de notre belle région; là, j'ai du mal à trouver des étalages qui rivalisent avec les commerces du secteur, mais ça me donne l'occasion de prendre un café, au soleil sur la terrasse, sortir mon petit carnet et y apposer ce qui me passe par la tête à ce moment là, tandis que j'ai les écouteurs de mon mp3 sur les oreilles, en transit vers d'autres dimensions. Dans ma bulle, je pénètre le monde social.

J'ai déjà pris l'habitude de me garer au grand parking du bas et je rejoins le centre ville par l'ascenseur, baladeur à fond, accompagnée par le son. Effectivement, ce que personne ne doit savoir, c'est qu'ainsi accessoirisée, je suis accompagnée. La musique est aussi présente que si j'étais venue avec ma meilleure amie qui me racontaient ses drôles péripéties du weekend précédent. Et me voilà sourire aux éclats en fonction de ce qu'elle me murmure aux écouteurs! De mes yeux, je cherche à entrer en communication avec les humains qui m'environnent. Mais eux... ne semblent ni me voir, ni m'entendre... alors que pourtant je leur communique si fort que ce moment est extraordinaire! Mon sourire semble plutôt les mettre rapidement mal à l'aise, je sais bien qu'ils l'ont vu puisqu'ils y ont rapidement répondu mais... ils ne s'y engagent pas. Vite fait, ils me renvoient un timide regard pour rétribuer la générosité de mon sourire, mais ils ne s'attardent pas à donner quoique ce soit d'autre qu'une politesse vide.

En réalité j'ai l'habitude, je ne m'attends pas vraiment à autre chose. N'allez pas croire que je juge, ce n'est pas mon propos, mais je me demande bien de quoi sont remplis ces gens pour que rien ne perce d'autre, sur leur visage, que leur enveloppe vide? Vides, je sais bien qu'ils ne le sont pas, ce n'est d'ailleurs pas ce que j'aurais du dire mais je ne trouve pas encore de mot adéquat pour retranscrire cet état de pesanteur intime si écrasant, pour exprimer qu'à travers le masque du visage, l'identité ne transparait pas, avachie qu'elle est sous le poids titanesque de toutes les valises que la plupart des individus n'ont pas encore osées déposer. Je sens bien leur absence, alors que c'est moi qui devrais être évanescente derrière la barrière de mes écouteurs! Or de nous tous, je crois bien être la plus en présence, la plus en conscience de ce qui anime les autres.

Je crois bien sentir sur eux leurs poids, leurs inquiétudes et leurs préoccupations matérielles lorsqu'ils sont seuls avec eux-mêmes, qu'ils s'échappent dans leur tête, happés par leurs pensées. Pourquoi sont ils tous autant enfermés à l'intérieur alors que je leur tends pourtant les yeux et le sourire pour qu'au moins un petit bout sorte. Mais je vois bien qu'ils ont peur... Peur de moi? Même pas vraiment... Ils ont peur de ce qu'il y a derrière mon regard. Je pense bien qu'ils ont vu mes yeux rieurs, qui leur tendent leurs tentacules bienveillantes, mais ils mettent rapidement leurs propres yeux dans le dos, ils ne veulent surtout pas que je puisse voir à quel point ils sont mal à l'aise que je puisse plonger mes yeux jusqu'à les voir, planqués là, en dessous... vite, ils fuient, ils ont sans doute tellement peur que je puisse voir pourquoi ils se planquent! Alors que je le sais déjà...

Parfois, je vois bien l'un d'eux se méprendre, et imaginer mon regard pour celui qu'il n'est pas. Je les vois me sourire, imaginant une seconde que j'ai pu remarquer l'enveloppe corporelle qui habille l'âme bien planquée... Comme si j'arpentais ma vie dans l'optique de croiser des corps physiques!!!! Il y a bien assez de choses sur terre pour que mon humanité ait besoin de plus que de matérialisme! Et il est évident qu'en espérant s'approprier mon regard, sans qu'une âme nappe l'intérieur de l'enveloppe, ce n'est que la concupiscence que je vois! Bienheureuse de m'apercevoir toutefois que personne n'y voit ni mépris, ni agressivité, les retours quand j'en ai sont plutôt respectueux, ou intrigués, mais jamais courroucés.

Parfois aussi, comme ce fut le cas ce matin, dans les méandres de ce public mercantile, les yeux tombent sur des yeux! Oui, des yeux. De ceux qui n'ont pas peur, de ceux qui ne fuient pas, des yeux qui plongent dans les miens ravis de trouver écho à leur quête... un regard qui permet à l'âme de ne pas se sentir seule, là, ce matin, dans le monde si plein de sa dimension, avec tant de gens "vides" qui passent sans rien voir. Cette femme là, peut être un peu plus âgée que moi  (je dis ça surtout parce qu'elle osait les cheveux grisonnants, alors que moi je triche depuis un moment - saleté de mélanine... ), elle avait du me voir arriver avant que je ne la vois, perdue que j'étais à sourire au monde du son dans lequel m'amène immédiatement Sparks Leds (Enorme ovation à cet immense artiste!!!), et j'ai tourné la tête et j'ai immédiatement vu ses yeux généreux, d'une texture plus ou moins identique à celle que je supposais mienne à l'instant même. Nos yeux audacieux ont osé prolonger la connexion qui s'est établie immédiatement entre la substance de nos âmes, nos sourires identiques se répondant en miroir. Elle me disait la satisfaction de me croiser dans sa dimension ce magnifique matin de décembre, alors que le soleil nous faisait encore une fois la grâce de sa douce caresse pré hivernale. Elle me disait ça, et tant d'autres choses qu'elle n'avait pas besoin de verbaliser pour que je les entende, aussi silencieuse que soit notre conversation. En une fraction de seconde, nous savions sans l'ombre d'un doute que nous partagions bien plus que le même trottoir, nous dansions parmi les mêmes étoiles, ici même et partout dans l'immensité du cosmos!

J'ai eu cette connexion juste lorsque je quittais le marché, en direction des ascenseurs pour redescendre vers le parking, et j'étais toute sourire dans mes méditations, sans doute plus sourire encore qu'en arrivant. Tout le nectar du miel de mon âme s'écoulait de mes pores et je n'étais pas avare de le partager! Mais comme l'ordinaire, platitude abyssale des âmes qui m'ont accompagnées le long de la descente dans cette petite boite grise qui nous ramenait au parking. Bah! Tristesse pathétique, s'écoulant directement sur les visages, la pesanteur aspire l'épiderme comme s'il dégoulinait le long des joues pour ruisseler jusqu'au sol. Je sens la détresse des âmes au supplice de ne pas savoir comment s'émanciper de ce corps si pesant, de toute la matérialité qui l'enserre? Vite, les regards évitent mes yeux, qui leur font outrage en voulant atteindre ce qui ne se perçoit pas... Alors que justement, c'est le détournement de leur regard qui hurle justement la détresse de leur âme muselée dans sa prison de verre! Pourquoi baissent-ils ainsi les yeux comme des coupables? Que portent ils sur leurs si frêles épaules qui les fassent ainsi courber l'échine sous un regard lumineux?

Oh, je ne le sais que trop bien!!!!!! A mon niveau, vu la claque que j'ai prise, ouverte d'esprit pourtant comme je l'étais!!! Ouverte seulement d'esprit je dois dire à présent!

En prenant cet ascenseur, une idée m'est apparue soudainement avec violence. Pourquoi avons-nous eu un jour besoin de transformer les sons en mots? J'en reviens à ma question initiale! Parce que lorsque je me rends à l'évidence de notre abyssal silence, les uns les autres, je suis bien obligée d'établir immédiatement une "critique" de la situation.

Et c'est là que la "lumière" m'éclaire un drôle de cheminement intellectuel... non dénué de sens pratique, que me corrigeront certainement, si je me trompe, les nombreux linguistes qui suivent avec ardeur mon blog obscur... L'homme parait il a eu besoin du langage pour se faire comprendre, pour exprimer ses besoins et ce qu'il ressent. Or... lorsque je suis témoin de la connexion qui a eu lieu entre cette femme et moi, le temps que nos regards se croisent, juste parce que nos auras arpentaient le même trottoir, de tout ce que nous nous sommes "dits" en si peu de temps, je me demande bien à quoi peuvent bien servir les mots! Les mots sont matérialistes, ils servent à nommer les choses ou  à "chosifier" les idées. L'humain, sensiblement, n'a sans doute jamais eu besoin de parler... c'est seulement matériellement que ses sens ne lui permettent plus de s'exprimer directement entre eux, en interconnexion quantique les uns aux autres! Il faut bien exprimer formellement ses attentes dans ce monde matériel. Et au summum de l'époque matérialiste, nous développons à outrance une réalité de communications à créer de l'envie à devenir besoin.

Et si les sens ne disent rien, s'ils ne sont plus capables d'interpréter les échanges de flux dans lesquels ils baignent perpétuellement, s'ils ne sont même plus capables de décrypter qu'ils sentent quelque chose, c'est que nous sommes devenus des être a-sensoriels. Nous avons bien encore un peu le souvenir de nos 5 sens usuels, mais nous ne nous en servons qu'en surface: mon nez m'en est témoin! Soupçonnez vous ne serait ce que la puissance de notre flair, sa capacité à décomposer les odeurs en strates, entre les odeurs hautes et les odeurs basses, celles qui sont légères et celles qui sont épaisses? Avez-vous ne serait ce que conscience de ces petits clapets à l'arrière de vos fosses nasales, que vous pouvez orienter à loisir pour décortiquer les odeurs que vous captez dans l'air? Tout comme la vision... nous apprend t-on à regarder derrière le voile, inconscient même la plupart du temps qu'il puisse y en avoir un? Que dire des autres sens?

Alors, effectivement, en voyant sous cet angle là, je sais avec évidence que les autres sens, ceux dont on ne parle pas, ou peu, qu'on ne reconnait en tout cas pas à leur juste valeur, sont bien évidemment emmurés dans le silence depuis trop longtemps pour que leur inaudible murmure ne soit pris en considération. Inconsciemment, la plupart des gens sentent bien que quelque chose les touche, sans pour autant parvenir à comprendre de quoi il s'agit. Les réactions varient, mais la plupart du temps, c'est l'inconfort qui prime. S'abandonner à son humanité n'est pas une chose facile... oh je le sais. On a appris à se méfier de l'autre, à s'en protéger, à s'en prémunir même et peu de gens fonctionnent réellement autrement qu'en activant d'emblée leur armure de protection bien qu'elle soit lourde et pesante.

Et si, un instant, juste pour voir, vous vous amusiez à essayer de ne parler de rien de matériel, à quoi pourrait donc bien vous servir vos mots? On en utiliserait tellement moins pour parler de tellement moins de choses, mais peut être plus profondément... Ca manque hein qu'on se taise un moment!

 

Publié dans Tueuse de consensus

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C
Faut dire que les enfers d'un parking souterrain n'incitent guère à l'échange, on y rencontre plus facilement Caron ou Cerbère que la gentille Alice du pays des merveilles ! En revanche sur un trottoir plein soleil tout de suite c'est plus simple ! les chances de croiser un regard humain sont décuplées mais nous sommes en période de disette grave, faut y croire !<br /> <br /> En tout cas inconsciente peut-être mais belle parabole ! Véritable Catabase pour sûr !<br /> <br /> Bonnes prochaines visites au centre de la Terre ! ou à l'inverse.......!<br /> <br /> ps on doit bien pouvoir partager son son MP3 d'un trottoir à l'autre ou cela ne tardera plus guère :)
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F
pourtant, c'est dans un tunnel qui conduit bien profondément dans les entrailles de la Terre qu'Alice a suivi le lapin blanc.... ;)